Les mémoires d’une métisse

 


En 1992, j’ai commencé à faire une série de rêves parfois éveillés. J'observais des vies antérieures et des évènements oubliés ou cachés. Une de ces incarnations était des Premières Nations. Cela se passait en Pennsylvanie il y a plus de 200 ans. Périodiquement, elle venait dans mes transes me donner quelques informations supplémentaires. Au début, je croyais qu’il s’agissait de mon imagination, mais peu à peu, je trouvais des indications qu’elle avait bel et bien existée.

La première fois qu’elle s’est présentée, j’étais dans un rêve lucide, au beau milieu d’une émeute dans un boisé. La scène se passait en été ou au début de l’automne. J’observais sans pouvoir intervenir. Elle dansait pour des colons qui avaient collé sur son corps des morceaux de papier. Une fois séchés, les hommes les arrachaient en enlevant des bouts de peau qui étaient toujours collés aux billets. Les tyrans la faisaient virevolter pour la violer, la torturer davantage et l’assassiner. Cette prêtresse avait l’apparence d’un homme. J’ai appris plus tard, qu’il s’agissait d’une bispirituelle. Les bispirituels ou Two-spirits[i] sont des guides très importants qui officiaient principalement avant l'arrivée des blancs. Ils étaient très appréciés. Ceux-ci agissaient souvent comme médiateurs. Quelquefois chamans et interprètes, ils possèdent des dons multiples. Ils se sont cachés pendant des siècles de persécution. Ce n'est que depuis peu qu'ils ont commencé à s'afficher. 

Ceux-ci ont les deux identités : masculine et féminine. Leur orientation et apparence sont multiples. Les Two-spirits avaient différentes vocations : chasseur, gardien d’enfants, professeur, conteur, médiateur entre les clans et interprète entre le visible et l’invisible. Ce sont des ponts entre les mondes : des peacemakers.

Au début, je ne comprenais rien. Je me demandais de quoi il s’agissait. Ces épisodes ont cessé après quelques mois. Je les ai même oubliés.

Un soir, plusieurs années plus tard, des souvenirs de génocide des Premières Nations sont apparus sur mon écran. Cela se passait à plusieurs endroits : aux États-Unis et au Canada. Tout a débuté dans une kiva, des femmes étaient réunies pour une cérémonie. Des colons les ont encerclées, violées, torturées et les ont assasinées. Ces innocentes étaient toutes autochtones. Cela s'est produit avec l'apparition des conquistadors sur le territoire Zuni. Puis, le visage d’un adolescent Two-Spirits m’est apparu en plusieurs temps. Je comprenais qu’il avait été tué entre les Plaines canadiennes et l’Ontario. Cela avait probablement eu lieu dans les années 50. La coupe de cheveux et les détails vestimentaires m'ont laissé cette impression. Ce meurtre avait été motivé par l’homophobie et le racisme.

Des millions de gens des Premières Nations ont été éliminés, durant toute la période de la conquête européenne, sur les territoires des deux Amériques. Une onde de choc s'installait là où les colons passaient et y demeuraient. Les moeurs et les coutumes des autochtones servaient de prétexte à ces meurtres. En fait, on empêchait ces personnes d'être elles-mêmes. Pendant des siècles, les bispirituels ont travesti leur identité. D’autres se sont suicidés. La peur s'est installée dans le cœur des communautés autochtones. Plusieurs Two-Spirits ont été ostracisés. 

Nous avons tous cultivé de la honte. Moi comprise. Il m’a fallu très longtemps pour accepter qui je suis. Ma lignée a été brisée depuis plus de quatre générations. Les séquelles de chocs post-traumatiques nous ont débranchés du cœur.

Spanish invader Vasco Nuñez de Balboa (1475-1519) presiding over the massacre of "sodomites" in Central America, Engraving by Theodore De Bry.


J’ai recueilli quelques références sur ces génocides, disparitions et meurtres, ainsi que sur les Two-Spirits. Je souhaite par le biais de ce blogue honorer ces victimes et vous inviter à faire le tour de vos histoires. Chacun de nous vit avec les épreuves, les peurs et les secrets de ses ancêtres. Ces expériences nous outillent et nous handicapent à la fois. 

Quelques commémorations ont été faites du côté des Premières Nations, mais pas grand-chose du côté des métisses et non autochtones. Il reste encore beaucoup à faire pour nous éduquer et prendre soin de nous-mêmes, ainsi qu'honorer nos racines. La majorité des gens sont métissés. Qu’importe le continent. 

En 1876, le gouvernement fédéral canadien a imposé une loi ignoble et l’a intitulée La loi pour les sauvages. Cette loi interdisait tout droit aux autochtones d’acquérir une terre et de bénéficier des mêmes avantages que ceux des colons. Ils ont été forcés d’accepter les réserves comme lieux de résidence. Les femmes des Premières-Nations perdaient leurs privilèges de clan si elles se mariaient à de non autochtones. C’est ainsi, que mon arrière-grand-mère a quitté les siens, pour vivre avec mon arrière-grand-père, en bannissant sa culture et coupant les liens avec un héritage extraordinaire. Le but de tous les gouvernements impliqués à la dénaturation des autochtones autour du monde était de supprimer les traditions, les savoirs et même la façon de rêver de ceux-ci.

Nous sommes les descendants de très longues lignées de colonisateurs et de victimes de guerre et génocides tous azimuts. Nous ne sommes pas les mémoires. Nous portons des messages. Nous sommes vivants. Même si nos attachements sont profonds, au-delà des idées, des sensations et des émotions il y a la Pleine Conscience.

Nous portons le pire et le meilleur en nous. Il est temps de s'arrêter et de faire la paix avec nous-mêmes d’abord. Bruno Clavier, psychanalyste, auteur d’essai psychologique relié sur la violence sexuelle constate que nous sommes plusieurs à subir les soubresauts des fantômes ancestraux. Des enfants souffrent des phobies d’ancêtres qu’ils n’ont même pas connus !

Nous naissons avec des listes d’attentes et des vœux claniques. Nos corps ne semblent pas nous appartenir. Notre sexualité, notre genre et même nos alliances sont déterminés. Nous n’avons même pas la parole et encore moins nos jambes pour courir vers un refuge où il n’y a pas de demandes. Nous grandissons avec des valeurs plus ou moins nôtres.

Il y a longtemps, j’ai rencontré et accompagnée une femme victime d’inceste et de violence conjugale dont le père avait été emprisonné à Auschwitz. Même si celui-ci savait mieux que quiconque les dangers de l’exposition à la violence sexuelle, physique et mentale, il abusait de ses enfants. Il n’y a plus de bons ou de mauvais clans. Nous avons hérités des secrets, des peurs et des mémoires des crimes perpétrés sur et par nos ancêtres. Il est temps de délesté ce bagage et de parler.

Nous n’avons pas besoin de souffrir comme nos aïeux. Soignons-nous. C’est le temps de vivre !

 

 Michèle Rhéaume

Références sur les génocides, meurtres et disparitions, ainsi qu'un peu d'information sur les Two-Spirits : 

https://libguides.stkate.edu/c.php?g=1265238&p=9339283

https://libguides.health.unm.edu/blog/Indigenous-Peoples-Day-Five-learnings-honoring-the-healing-power-of-two-spirit-identity

https://www.cbc.ca/news/indigenous/genocide-murdered-missing-indigenous-women-inquiry-report-1.5157580

https://around.uoregon.edu/content/historian-examines-native-american-genocide-its-legacy-and-survivors

https://www.history.com/news/native-americans-genocide-united-states

https://www.colorbloq.org/article/the-2-is-separate-decolonizing-justice-through-two-spirit-sovereignty

https://www.nlm.nih.gov/nativevoices/timeline/188.html

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1173847/enquete-nationale-femmes-filles-autochtones-disparues-assassinees-chercheurs-statistiques-canada


 



[i] En Français nous disons bispirituel. J’utilise la version anglaise qui est plus proche de la définition Lakota.

 

Messages les plus consultés de ce blogue

Le Sûtra du Coeur; initiation à l'espace non égotique

Le corps de souffrance